Dans une école qui vise à garantir à chaque élève un accès aux apprentissages en même temps que sa pleine participation sociale (United Nations, 2006), il est aujourd’hui admis que les modalités de collaboration entre enseignant spécialisé (ES) et enseignant régulier (ER) constituent un enjeu majeur de la qualité du soutien à l’élève à besoins éducatifs particuliers (BEP) en contexte inclusif. Les pratiques de coenseignement, notamment, semblent pouvoir répondre à la double ambition inclusive (Murawksy & Goodwin, 2014 ; Villa et al. 2013). Le canton de Genève prévoit, parmi un ensemble de dispositifs dits inclusifs, le soutien pédagogique en enseignement spécialisé : un ES assure la fonction de soutien aux apprentissages d’un élève déclaré à BEP. ES dispose de quelques périodes hebdomadaires par élève pour assurer des interventions directes (destinées à l’élève) ou indirectes (destinées à l’enseignant de la classe), ce qui implique une collaboration entre ces deux enseignants. Or les travaux montrent combien les pratiques de collaboration, dont celles de coenseignement, peinent à être mises en œuvre (Valls et al. 2021 ; Strogilos et al., 2023). L’approche située de l’activité des enseignants (Delorme, 2020 ; Pelgrims et al., 2017) révèle en particulier combien les ES en charge du soutien sont confrontés à une série de contraintes et de dilemmes auxquels ils s’ajustent par des pratiques d’individualisation et d’interventions qui s’écartent de pratiques de coenseignement. D’autres auteurs (Jordan et Stanovich, 2004) montrent comment certaines conceptions relatives à la nature des difficultés des élèves et à l’éducation inclusive peuvent être en lien avec leurs pratiques d’enseignement et de soutien et ainsi, les éloigner de pratiques supposées inclusives. Qu’en est-il néanmoins des pratiques de travail conjoint ER - ES dans les classes primaires genevoises ? Qui sont ces enseignants qui acceptent de prendre un temps, que l’on sait précieux, pour collaborer avec l’autre enseignant ?

Notre présentation propose de répondre aux deux questions suivantes : 1) Quelles sont les pratiques de collaboration et de coenseignement entre ER des classes primaires genevoises et ES chargés du soutien pédagogique ? et 2) Existe-t-il des profils d’enseignants plus ou moins collaborants et quelles sont les variables associées au consentement de ces professionnels à la collaboration ?

Pour répondre à ces questions, un questionnaire (Chanier, 2023) en ligne a été adressé à tous les ES pratiquant le soutien pédagogique dans les classes primaires genevoises durant l’année scolaire 2021-22, ainsi qu’aux ER concernés par l’intervention de ces ES dans leur classe. Les questions portaient sur les conditions d’exercice de leur activité, sur leurs pratiques d’enseignement et de collaboration, notamment de coenseignement, et sur leurs conceptions quant à l’éducation inclusive et aux pratiques de classe bénéfiques aux élèves à BEP.

Nos résultats, d’abord issus d’analyses statistiques descriptives, rendront compte des pratiques d’enseignement effectives déclarées : pratiques de classe en présence des élèves, pratiques de soutien, de coenseignement et de collaboration en l’absence des élèves. Nous verrons que le coenseignement reste une pratique minoritaire et que la collaboration entre ER et ES en l’absence des élèves est majoritairement informelle et peu développée. Puis, à partir d’analyses factorielles (analyse des correspondances multiples), nous identifierons des profils d’enseignants dont plusieurs variables relatives à leurs pratiques, leurs conceptions et leurs caractéristiques propres sont associées à leur consentement à la collaboration avec l’autre enseignant. Nous montrerons notamment que le profil « Consentant à la collaboration » rassemble plusieurs variables : une conception de l’éducation inclusive comme étant bénéfique pour les apprentissages, la mise en œuvre de pratiques d’enseignement propices à la différenciation, notamment le coenseignement, et un soutien pédagogique effectué en classe.