Les représentations des enseignantes sur les évolutions de l’école enfantine
Catherine Amendola, Sandrine Angéloz Huguenot, Céline Geoffroy, Marie Jacobs
HEP Vaud, Suisse
En Suisse, en 2006, de nouveaux articles constitutionnels ont été acceptés par votation populaire, harmonisant notamment l’entrée dans la scolarité obligatoire à quatre ans sur l’ensemble du territoire. Ainsi, dans le canton de Vaud, la nouvelle organisation scolaire est entrée en vigueur en 2013, l’école enfantine constituant dès ce moment-là les deux années initiales du premier cycle primaire. Ce changement au niveau du cursus scolaire a été accompagné d’autres éléments évolutifs : intégration du cursus 1-2P dans le plan d’études romand concernant l’ensemble de la scolarité obligatoire, introduction de nouveaux moyens d’enseignement, ...
Dans ce contexte d’importants changements, notre recherche s’interroge sur les représentations des enseignant·e·s 1-2P sur leur métier, leur rôle, leur pratiques. Le concept de représentation sociale peut être défini comme « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 2003, p. 52). Nous nous intéressons à ce savoir pratique, incarné dans les différentes représentations sociales, et ses liens entre le sujet et l’objet représenté, c’est-à-dire entre les enseignant·e·s de 1P-2P et les changements perçus sur leur métier ; plus précisément leurs représentations et leur appréciation sur leur rôle d’enseignant·e·s 1-2P, et leurs perceptions de l’évolution de l’école enfantine ces dernières années.
L’enquête a été réalisée au moyen d’un questionnaire en ligne adressé à l’ensemble des enseignant·e·s en fonction, à temps partiel ou complet, dans les classes enfantines vaudoises durant l’année scolaire 2017-2018 (N=417). Les deux questions présentées dans cette communication sont formulées de manière ouverte dans le questionnaire. Les verbatims ont fait l’objet d’une analyse thématique (Paillet et Mucchielli, 2016). Plusieurs rubriques ont émergé ; parmi celles-ci, nous présenterons les résultats liés à l’hétérogénéité des élèves.
Les réponses à la question « Y a-t-il des évènements (liés à la profession, à votre établissement, à votre vie professionnelle, etc.) qui vont influencé·e dans la représentation de votre rôle d’enseignant·e 1-2P, ces dernières années ? » Cinq types d’évènements apparaissent dont le changement de profil de l’élève. Cette catégorie sera décrite ainsi que les effets que les répondantes nomment concernant la prise en compte de ces élèves dans leur métier.
À la question « Selon vous l’école enfantine a-t-elle évolué ces dernières années ? Si oui, selon votre perception, quelles sont les évolutions positives ? Quelles évolutions vous semblent plus problématiques ou inquiétantes ? », l’analyse thématique met en évidence trois rubriques : ce qui relève de l’institution et de son organisation, ce qui relève des pratiques enseignantes et ce qui relève du contexte hors scolaire. L’analyse des verbatims au travers de ces deux dernières catégories sera également présentée.
Les premiers résultats concernant les changements perçus dans le profil des élèves décrivent principalement la différence et la particularité. Ce sont des “élèves différents”, des “cas particuliers”, ou des élèves “à besoins différents ou particuliers”. Ils “manquent” de quelque chose (d’autonomie par exemple). La différence s’exprime également par leur origine sociale et culturelle, la différence de langue, leurs difficultés d’apprentissage, le comportement et par le handicap. On peut supposer que les caractéristiques des profils des élèves mis en avant par nos répondantes soient liés à une forme de représentation de la « classe idéale », composée d’élèves aux profils similaires (Meirieu, 2005) entrant en tension avec le projet de l’inclusion scolaire.
Portrait d’un nouveau métier ? D’une nouvelle profession ? Les assistant·e·s à l’intégration dans l’école obligatoire vaudoise.
Sandrine Angéloz Huguenot, Céline Geoffroy
HEP Vaud, Suisse
En Suisse, depuis les années 2000, l’intégration scolaire des enfants à besoins éducatifs particuliers (BEP) préoccupe les milieux éducatifs.
Dans une perspective d’école inclusive, plusieurs dispositifs d’intégration ont été mis en place. Dans l’enseignement obligatoire vaudois, des assistant·e·s à l’intégration (AI) accompagnent les élèves BEP. Cette nouvelle fonction s’inscrit dans le mouvement global d’inclusion scolaire, développé sous l’impulsion de la déclaration de Salamanque (UNESCO, 1994).
L’implantation de ces AI dans les classes s’est faite progressivement. Cependant, intégrer une nouvelle catégorie de personnel dans les écoles pose de multiples questions : que font-elles exactement ? Quels gestes professionnels mettent-elles en place dans leur fonction ? Quel est le contour de cette fonction, est-ce un nouveau métier, une profession ? Ce sera l’objet de cette recherche.
Notre revue de littérature explore l’émergence et les contours de cette fonction d’AI dans d’autres lieux : cantons de Suisse, France et province canadienne de l’Alberta. Notre premier constat concerne la mosaïque des appellations découvertes, plus d’une dizaine existent. Ces dernières reflètent peut-être la diversité des rôles et des responsabilités que ces personnes assument dans l’école.
Notre recherche poursuit un double objectif :
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Définir le métier d’AI
2. Mettre en lumières d’éventuelles tensions entre prescriptions et pratiques.
Pour définir cette fonction, nous nous basons sur les écrits de Tourmen (2007). Selon elle, il s’agit d’identifier les tâches réalisées, leurs objectifs, les moyens et les conditions de leur réalisation. Il s’agit ensuite de spécifier la définition des tâches par une institution et leur assignation à des individus recrutés, en vue de les réaliser. Et enfin de s’intéresser aux personnes :
A partir des informations recueillies, nous observons comment le sujet s’empare de la tâche, comment l’interaction sujet-tâche influe sur les compétences mises en action pour la résoudre (Durant, 2002). Nous nous attachons à décrire les différentes compétences mises en oeuvre par les sujets afin d’en cerner les contours, en nous basant sur la définition de la compétence proposée par Bellier (1999) : “La compétence permet d'agir et/ou de résoudre des problèmes professionnels de manière satisfaisante dans un contexte particulier en mobilisant diverses capacités de manière intégrée.” (p.226)
Notre démarche de recherche est qualitative à visée exploratoire (Poisson 2011). Nous avons effectué notre récolte de données via des Focus group, une technique d’entretien collectif, permettant de collecter des informations sur un sujet ciblé.
Les informations collectées grâce à un Focus group sont le produit des interactions et de la communication entre les participants. Il faut en effet replacer cette technique dans le champ de la socio-psychologie et plus particulièrement dans le cadre de la dynamique des groupes qui lui confère son originalité. (…) les Focus groups peuvent (…) se présenter comme une véritable alternative aux techniques qualitatives traditionnelles telles que l’interview en face-à-face (Brunet & Delvenne, 2010, p.1).
Notre échantillon est composé d’AI volontaires, regroupées selon leur choix.
Une analyse thématique des retranscriptions sera réalisée, en nous appuyant sur une analyse catégorielle de contenus (L’Ecuyer, 1990).
Nos premiers résultats permettent d’identifier différentes catégories de gestes notamment des gestes d’étayage et de pilotage (Morel et al. 2015), ce qui semble indiquer une forte tension avec le travail prescrit qui évoque des gestes de care, d’accompagnement et d’atmosphère.
L’analyse fine de ces données permettra de faire un portrait de cette fonction et de mieux documenter les tensions entre le prescrit et le réel. Cette première étape servira de base à une recherche plus large visant à étudier la coordination entre les différentes fonctions au sein des équipes éducatives.
L’entrée à l’école : comprendre les perspectives des élèves et adopter des pratiques qui accompagnent la transition
Catherine Amendola
HEP Vaud, Suisse
L’entrée à l’école est un moment-charnière dans les parcours enfantins. À un âge donné, variable selon les systèmes éducatifs, tous les enfants expérimentent la première transition scolaire, ordinaire et prévisible (Jacques, 2016). À la croisée des socialisations familiale et scolaire, ce passage est marqué par l’hétérogénéité des expériences antérieures des enfants et par la diversité de leurs horizons sociaux (Lahire, 2019 ; Duru-Bellat, 2018 ; Millet et Croizet, 2016). Les débuts de la scolarité représentent une période cruciale dans laquelle les inégalités sont en jeu, où l’école peut mener à les réduire ou les accentuer (Garnier, 2016 ; Rousseau, 2009). Ils constituent également un espace-temps intermédiaire entre le contexte familial et le contexte scolaire, un « entre-deux » où il s’agirait d’une part de reconnaître l’enfant et d’autre part, de le relier à l’école (Thouroude, 2010). Pour l’enfant, cette transition est une période de transformation ; elle l’engage dans de nouveaux apprentissages, participe au remaniement de son identité et nécessite qu’il puisse construire un sens à son nouvel environnement (Zittoun, 2012). La transition offre ainsi des opportunités de développement et d’émancipation mais représente également une période de fragilité, de difficultés, de potentielle rupture dans les trajectoires scolaires (Doudin et al., 2012 ; Jacques, 2016).
Dans ce contexte, cette contribution s’intéresse à la perspective des enfants lorsqu’ils transitent vers l’école en s’appuyant sur une enquête réalisée auprès d’élèves d’une classe enfantine vaudoise (quatre à six ans). Écouter leurs voix permet d’aller à la rencontre de leurs expériences et de la manière dont ils conçoivent leur environnement (Farmer, 2022 ; Hanna et Lundy, 2021). Par ailleurs, leurs perspectives constituent des leviers stimulants pour penser les situations et les pratiques éducatives (Einarsdóttir, 2017 ; Pirard, 2021 ; Rayna, 2014 ; Sommer et al., 2013).
La recherche a été conduite lors des six premières semaines de la rentrée scolaire 2019 auprès de 18 élèves : la moitié d’entre eux vivent leur première rentrée scolaire (4-5 ans), l’autre moitié, leur deuxième (5-6 ans). Cette recherche s’apparente à une étude de cas de par sa dimension singulière et contextualisée (Albero, 2010). La méthodologie est multimodale et s’inspire des méthodes ethnologiques et des méthodes de recherche avec de jeunes enfants issues de la littérature francophone et anglophone (Clark, 2010 ; Danic et al., 2006 ; Dockett et Perry, 2007 ; Draghici et Garnier, 2020 ; Einarsdóttir, 2007 ; Moore et Castelotti, 2014) : immersion et observations (manuscrites et filmées), utilisation de supports visuels (dessins et photographies réalisés par les élèves) conjugués avec des entretiens individuels et de groupe.
Dans un premier temps, nous présenterons la diversité des expériences transitionnelles des élèves et les sens qu’ils ont construits de leur nouvel environnement scolaire. Ces résultats seront organisés en référence à quatre dimensions des processus de transition ; les dimensions spatiale, relationnelle, temporelle (Jacques, 2016 ; Rayna et Garnier, 2017) auxquelles nous avons ajouté la dimension symbolique, constituée des éléments liés à la forme scolaire. Dans un deuxième temps, nous identifierons quelques pratiques d’enseignement tenant compte de l’hétérogénéité des élèves et de leurs perspectives, susceptibles de les accompagner en créant des liens entre les mondes enfantin et scolaire. Ces « pratiques de transition », ajustées aux besoins des élèves, peuvent influencer leurs capacités d’ajustement socio-scolaire (Duval et Bouchard, 2013).
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