Le symposium explorera les « angles morts » des relations entre technologie, travail et genre, en distinguant, à travers le prisme de l'intersectionnalité (Laberge et al., 2020 ; Messing, Lefrançois & Saint-Charles, 2021 ; Howcroft & Rubbery, 2019) les options d'organisation du travail et les inégalités engendrées.
L'automatisation, la numérisation et la robotique occupent depuis quelques années les premières places de l'agenda public dans le débat sur l'avenir du travail et de l'emploi. Les arguments relèvent le plus souvent de la capacité et du rythme de production, avec parfois, en toile de fond, la promesse d’une contribution en matière de bien-être/santé au travail (en raison d’une automatisation de tâches trop répétitives, notamment). Ces « technologies de pointe » configurent de nouvelles relations humain-machine. De tels changements ont une incidence sur les caractéristiques des emplois concernés – et des analyses différenciées en termes de genre méritent plus d’attention, car les études menées jusqu'à présent ont eu tendance à ignorer cette dimension (Eurofound, 2020; Howcroft & Rubery, 2019).
En fait, de façon générale, malgré l'intérêt croissant pour les technologies I4.0, on sait peu de choses sur les risques de ces évolutions du travail et les différentes interactions de tels changements avec la santé des travailleurs/euses. Toutefois, des recherches ont montré que certains risques existants peuvent être aggravés : dans des situations où prédominent des horaires irréguliers, et particulièrement lorsque l’organisation du travail table sur une production en continu (Cunha et al., 2020) ; ou en raison de la pression accrue d’une cadence redéfinie – ce qui rejoint le constat d’une intensification du travail en lien avec l’importance croissante des changements technologiques (Volkoff & Delgoulet, 2019).
Le contexte récent de la pandémie et l’expansion du recours au télétravail ont mis en exergue bien des situations qui justifient que l’on s’attache à y distinguer des risques émergents – et des inégalités de genre, mal identifiées auparavant, constituent aujourd’hui un terreau de recherche fertile en hypothèses.
Des questions devenues traditionnelles lorsqu’on reconnaît que « les femmes ne sont pas des hommes comme les autres » (Lacomblez, Ollagnier, & Teiger, 2016), sont ici renouvelées dans des approches où la dimension genre prend, une fois de plus, le statut d’une catégorie d'analyse à haut potentiel heuristique (Messing, Lefrançois, & Saint-Charles, 2021 ; Cunha, Nogueira, & Lacomblez, 2014), donnant à ces risques plus de visibilité dans ce qu’ils révèlent.
Ainsi, dans ce débat, multidisciplinaire, des postulats sont interpellés, qu’ils soient d’ordre épistémologique et méthodologique ou qu’ils concernent les options sous-jacentes aux projets d’interventions.
Dans le cadre de ce symposium, les contributions étayeront un premier canevas d'analyse.
Adopter « une perspective de genre »
Bon nombre de recherches mettent l'accent sur le plan de l’emploi et de la qualification, selon des analyses prospectives qui prennent souvent en compte le genre, l'âge, le bassin d’emploi, comme facteurs d'inégalité dans les processus d’inclusion ou d'exclusion sur le marché du travail. Cette lecture de la réalité se révèle délicate lorsque ces catégories d'analyse sont adoptées de manière abstraite, en tant que facteurs de risque par rapport à l'emploi - comme si l'on pouvait dire, par exemple, que, par rapport aux hommes, les femmes courent moins de risques, per se, de perdre leur l'emploi suite à l’introduction de l'automatisation. De fait, cette approche ne tient pas la route si elle fait l’économie de ce que révèlent les analyses ancrées dans un contexte de travail réel, portées par un dialogue - à différentes échelles d'analyse - avec les travailleurs/euses impliqués/ées mais aussi les acteurs de la santé au travail ou les acteurs institutionnels évoluant sur le territoire en analyse.
Des interactions technologie-genre diverses
Comment la transformation technologique peut-elle être à l’origine de nouvelles configurations d’une segmentation genrée des emplois ? Ou, au contraire, comment peut-elle contribuer à diluer des formes antérieures de division du travail ? Reprendre ces questions exige de caractériser les finalités réelles des changements technologiques engagés et les options qui ont été celles de leur mise en place – puisqu’il ne s’agit jamais de simples applications de nouvelles technologies. De même, il s’agit d’identifier ce que l’introduction de ces changements implique dans les activités de travail, des femmes et des hommes, en tenant compte du contexte singulier dans lequel ils ont lieu et en tenant compte de ce que sont devenues les expériences de travail différenciées sur lesquelles les changements technologiques ont été greffés.
Peut-on parler d'un risque de subordination des travailleurs/euses à la technologie (Barcellini, 2019) ? Ou, au contraire, la technologie valorise-t-elle le patrimoine des expériences accumulé jusqu'alors ?
« Risques émergents » ?
Qu'est-ce qui devient « émergent » lorsque l'on parle de risques liés à l'automatisation ou à la numérisation du travail ? Que sont, précisément, les risques que la transformation technologique proposerait d'atténuer et quelles en sont les limites ? Ces expositions varient-t-elles selon les activités assurées par les femmes et les hommes ou/et se croisent-elles avec d’autres sources d'inégalités (Messing & Silverstein, 2009) ?
Concrètement et par exemple : Quels usages du corps sont imposés par cette interaction avec la technologie (Rot & Vatin, 2018), et quelles implications sur la santé se profilent ? Quelle organisation du temps de travail a accompagné les transformations des activités de travail et quels sont devenus les enjeux essentiels en termes de bien-être/santé et d’articulation vie de travail/vie personnelle ?
Méthodes, résultats et débats
Quels dispositifs permettent d’accompagner ces risques potentiels et quels médiateurs proposer (matériels ou symboliques) en vue de leur énonciation ? Comment, dans ces scénarios d'interaction humain-technologie, assurer l’interface entre le langage analytique des facteurs de risque (le point de vue des chercheurs et des professionnels de la santé au travail) et le langage construit dans l’expérience des activités de travail (par les travailleurs/euses) (Trizio, Occelli, & Re, 2017) ?
Ce symposium valorise dès lors les analyses :
- basées sur des études de cas tirant parti du potentiel heuristique d’un ancrage genré dans des situations réelles de travail ;
- intégrant une approche intersectionnelle du genre, convoquant d'autres sources d'inégalités sociales ;
- tablant sur la création de conditions permettant le débat, avec les protagonistes des recherches et interventions, au sujet des hypothèses avancées – notamment pour ce qui relève des questions qui avaient été absentes/non-identifiées dans les processus de reconfiguration du travail.
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